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Photo by Kayode Egbeleye - MSF.

De patiente à porte-parole : le parcours
de Mulikat au-delà du noma

Mulikat, survivante de noma, est aussi agent d’hygiène à l’hôpital de Sokoto, dans le nord-ouest du Nigeria. Il y a une vingtaine d’années, elle est venue de Lagos à Sokoto en quête de soins médicaux et d’espoir. Aujourd’hui, elle soutient d’autres personnes affectées par noma et joint sa voix au plaidoyer de MSF pour les survivants de cette maladie dévastatrice et peu connue.

Dr Marwan El Bast in front of the MSF clinic.

« Chaque petit effort fait une différence, et la puissance de la volonté entraîne le changement » 

Interview avec Dr Marwan El Bast, médecin des maladies chroniques travaillant dans les cliniques MSF à Majdal Anjar et Bekaa, au Liban.






Louise Limela.

« Il ne s'agit pas de ce que vous avez perdu »




Interview avec Louise Limela, chargée de coordination et d’animation du réseau associative MSF OCB en RD Congo. 







De patiente à porte-parole :
le parcours de Mulikat au-delà du noma

Mulikat, survivante de noma, est aussi agent d’hygiène à l’hôpital de Sokoto, dans le nord-ouest du Nigeria. Il y a une vingtaine d’années, elle est venue de Lagos à Sokoto en quête de soins médicaux et d’espoir. Aujourd’hui, elle soutient d’autres personnes affectées par noma et joint sa voix au plaidoyer de MSF pour les survivants de cette maladie dévastatrice et peu connue. Voici son témoignage.

Il est difficile de vivre avec les séquelles de noma. Personne ne veut s’associer avec toi, personne ne veut te parler, à cause de la discrimination et de la stigmatisation. Mais il y a une issue : la chirurgie donne une chance de guérir. Pour un survivant de noma, l’arrivée à l’hôpital de Sokoto est un moment qui change la vie. Avant de commencer mon traitement, j’avais perdu l’espoir, mais après la chirurgie, j’ai compris que j’étais toujours un être humain, comme les autres.

La personne qui m’a aidée à réaliser cela est le docteur Adeniyi [Dr Adeniyi Adetunji, un médecin du ministère nigérian de la santé travaillant à l’hôpital de Sokoto]. Il a tout changé pour moi. Il m’a motivée à retourner à l'école. À ce stade, je ne voulais même pas essayer à cause de la stigmatisation et de la façon dont les gens me regardaient chaque fois que je les approchais. Mais le docteur Adeniyi m’a encouragée. Il m’a dit que je devais me considérer comme une nouvelle personne. Il voulait que je rende à la communauté ce que j’avais reçu. Alors je l’ai fait, et j’ai trouvé de la motivation et du courage. 

À l’école, j’ai étudié la gestion des dossiers médicaux. En 2018, MSF m’a proposé un emploi. Si je n’avais pas eu cette offre, je ne sais pas où je serais, car à l’époque je n’avais nulle part où aller. Aujourd’hui, je suis agent d’hygiène, je travaille avec les agents d’entretien et les patients de l’hôpital. Je m’assure que l’environnement est propre et je discute de l’hygiène personnelle avec les patients et leurs accompagnants. J’aide également notre équipe de santé mentale à soutenir les survivants, qui sont comme moi dans le passé. Je partage avec eux mon expérience. Je leur dis qu’ils doivent être forts et que les choses iront mieux. Ils savent que j’étais dans leur situation avant, certains d’entre eux ont même vu ma photo avant la chirurgie. Mais regardez-moi maintenant ! Tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir, et avec de l’espoir, il n’y a rien que nous ne puissions accomplir.  

C’est facile de travailler avec mes collègues de MSF, ils me considèrent comme une des leurs. Je ne ressens aucune discrimination. Je suis très heureuse qu’ils m’aient acceptée dans l’organisation, c’est une grande joie. À l’hôpital, nous avons aussi un autre collègue qui est un survivant de noma, Dahiru. Il travaille comme agent d’entretien pour le Ministère de la Santé. 

MSF devrait continuer à responsabiliser les patients et les encourager à retourner à l’école, pour qu’ils puissent partager leur histoire et faire de la sensibilisation. C’est un long parcours, mais lorsque les patients retournent dans leur communauté après la chirurgie, ils sont transformés. Quand vous me regardez, vous voyez sans doute que j’ai vécu quelque chose de difficile. Mais moi, je ne pense plus à mon passé. Mon objectif est d’inspirer les gens. Je souhaite partager mon témoignage, pour que tout le monde sache que noma est une réalité et que l’on peut être talentueux malgré le handicap. 

Dr Marwan El Bast devant la clinique MSF.
« Chaque petit effort fait une différence,
et la puissance de la volonté entraîne
le changement » 

Interview avec Dr Marwan El Bast, médecin des maladies chroniques travaillant dans les cliniques MSF à Majdal Anjar et Bekaa, au Liban.

Pourriez-vous nous raconter votre parcours, et dire un peu sur votre chemin pour travailler avec MSF ?
Je suis né dans une famille pauvre dans la vallée de la Bekaa. J’ai eu la polio dans les années soixante, ce qui a entraîné une paralysie complète de ma jambe gauche. Je dois porter des orthèses, et j’ai besoin d’une béquille pour marcher. J’ai fréquenté plusieurs écoles qui n’étaient pas équipées pour accueillir les personnes handicapées. Pour me mettre au défi, j’ai décidé de voyager à l’étranger et d’étudier

la médecine. J’ai obtenu un diplôme de médecine générale en Russie, et je suis rentré chez moi pour pratiquer la médecine dans différents endroits du Liban. En 2016, je me suis retrouvé avec MSF. Travailler avec MSF était comme un rêve devenu réalité, en raison de tout ce que j’avais entendu parler de l’organisation quand j’étais encore médecin pour les maladies chroniques dans une clinique de Majdal Anjar, dans la vallée de la Bekaa.

Quels défis avez-vous rencontrés dans votre carrière au sein de MSF ? Comment les avez-vous confrontés ?
Mon handicap est modéré : je peux me déplacer en m’appuyant sur mes appareils orthopédiques et une canne légère, mais avec beaucoup d’effort et d’épuisement. J’ai rejoint l’équipe de MSF en sachant que je travaillerais dans des endroits exceptionnels et dans des situations d’urgence. L’un des principaux défis que j’ai rencontrés était mon lieu de travail ainsi que les endroits où je devais aller pour participer à des réunions et des formations : ils se trouvaient tous aux étages supérieurs, dans des bâtiments sans ascenseurs ou d’autres moyens d’assistance aux personnes handicapées. J’ai dû lutter chaque jour pour monter les escaliers le matin et les descendre dans la soirée. Il en va de même pour les salles de réunion et de formation. Je devais compter sur des amis pour y arriver. Les défis comprenaient également l’utilisation d’espaces de travail et de formation, qui ne disposaient pas de toilettes accessibles. Cela m’a forcé à demander à plusieurs reprises des ajustements dans les espaces de réunion et de formation, et des modifications dans l’équipement du lieu de travail. Toutes ces demandes se heurtaient à des obstacles que je détaillerai plus tard. Pour résoudre ces problèmes, j'ai compté sur ma patience et mes amis, sacrifiant une partie de mon indépendance.

MSF a-t-elle pris en considération votre condition physique ou fait des ajustements dans le projet ou la mission pour faciliter votre travail ?
Comme je l’ai mentionné plus tôt, j’avais demandé à plusieurs reprises des modifications à mon lieu de travail. Sur le plan personnel, les collègues dans la mission étaient attentifs à ma situation physique.  La plupart m’aideraient à me déplacer, mais le problème était le budget de la mission et les politiques d’intégration. L’intégration des personnes en situation de handicap dans un lieu de travail ne concerne pas un cas individuel, mais plutôt le contexte global du projet. Cela commence par la réalisation du droit  des personnes handicapées au travail, conformément à la Déclaration universelle des droits de l’homme et à la Convention relative aux droits des personnes handicapées. Cela nécessite que le budget permette aux projets d’adopter des normes d’ingénierie et de logistique claires pour exécuter ce droit, notamment en équipant les lieux de travail et en formant le personnel à respecter la diversité. Cela transformerait les centres et cliniques MSF en espaces intégrés et respectueux de la diversité. 

Je dois dire que les responsables de la mission au Liban ont été très prévenants et utiles. Ils ont fait tout ce qu’ils pouvaient pour me fournir les orthèses nécessaires. Ils comprenaient les besoins des personnes en situation de handicap qui n’avaient pas accès aux cliniques et leur offraient des services de santé dans le cadre d’un programme de visites à domicile. Il convient également de noter que la direction de MSF est consciente de l’importance de la politique d’intégration. Le débat associatif terrain MSF (FAD) au Liban a adopté la politique en 2019 et renvoyé le sujet pour discussion aux plus hautes plateformes locales et régionales. Je fais appel à MSF pour adopter des politiques d’intégration des personnes handicapées dans tous ses programmes et missions.

MSF intervient souvent dans des environnements très difficiles, dans des conditions extrêmes. Dans quelle mesure MSF est-elle aujourd’hui équipée pour embaucher des personnes en situation de handicap ? 
Traditionnellement, il y a cette fausse idée que l’intégration est un processus extrêmement coûteux. Permettez-moi de vous raconter une histoire amusante mais significative : un investisseur a construit un grand immeuble et voulait recruter des personnes handicapées parmi le personnel de l’entreprise. Pour cette raison, il a installé un ascenseur spécial très cher. Le jour de l’ouverture du bâtiment,  il a présenté son projet, y compris cet ascenseur spécial. L’une des personnes handicapées a déclaré : « Personnellement, je me contenterais d’une petite canne que je pourrais utiliser pour appuyer sur les boutons de l’ascenseur commun. Cela ne coûterait pas plus de 5 dollars ». 

Oui ! Selon des études récentes, rendre un bâtiment ou une institution accessible ne représenterait pas plus de 10 % des coûts globaux d'établissement. Toute institution ou entreprise peut le faire en reconnaissant le droit à la diversité et en adoptant une politique d’intégration, du budget jusqu’à la formation et l’exécution, quels que soient le lieu et les conditions de travail.

Bien sûr, chaque endroit est différent en termes de son utilisation prévue. Par exemple, si une tente de premiers soins est située au sommet d’une colline, elle ne peut être atteinte que par certaines personnes, mais si nous la déplaçons plus bas, tout le monde peut y accéder. Le choix de l’emplacement dépend de l’adoption ou non de la politique d’intégration.


La vallée de la Bekaa, Liban. Photo : Joosarang Lee/MSF.

Selon vous, qu’est-ce qui doit changer au sein de MSF pour que l’inclusion du personnel en situation de handicap devienne une réalité ?
MSF est une organisation humanitaire qui fournit des services médicaux aux personnes qui en ont le plus besoin. Les personnes qui fuient les guerres et les catastrophes naturelles sont marginalisées. Mais si elles vivent avec un handicap, elles sont alors doublement marginalisées. MSF n’a pas besoin de changer mais plutôt d’adapter et d’ajouter. Les droits de l’homme et l’absence de discrimination fondée sur le sexe, la religion, la couleur de la peau sont là, mais nous devons ajouter le handicap. Nous devons tenir compte des personnes handicapées lors de la planification et de l’exécution de chaque projet, et établir un budget en conséquence. Nous devons former le personnel à accepter la diversité. Nous devons adapter les lieux de travail afin qu’ils soient accessibles aux personnes en situation de handicap et nous devons employer plus de ces personnes. Nous devons aussi adapter nos communications, et s’ouvrir à l’utilisation  de la langue des signes ou du braille, pour atteindre un public plus large. En tant qu’objectif stratégique, nous devons adopter une politique d’intégration dans le cadre de nos objectifs et stratégies. 

Quelle est la situation actuelle des personnes vivant avec un handicap au Liban ? Quels défis et obstacles rencontrent-elles ?
L’absence de statistiques officielles ne permet pas de se faire une idée claire de la taille de la communauté des personnes en situation de handicap au Liban. Selon les estimations internationales, il y a entre 50 000 et 100 000 personnes handicapées. Le nombre réel pourrait cependant atteindre 500 000 (10 à 15% de la population), en plus d’environ 500 000 parmi les réfugiés syriens, palestiniens et irakiens. En 2000, le Liban a adopté la Loi 220 qui réglemente les droits des personnes en situation de handicap. Malheureusement, la loi n’est pas encore en vigueur, car elle manque de décrets d’application. De plus, le Liban n’a toujours pas ratifié la Convention relative aux droits des personnes handicapées. 

Dans ces circonstances, les personnes en situation de handicap sont marginalisées. On leur refuse le droit à l’éducation, avec seulement cinq des 1 480 écoles officielles au Liban qui remplissent les conditions minimales d’accessibilité. Les personnes handicapées vivent dans un environnement qui ne leur permet pas d’accéder à des prothèses à des prix raisonnables. La marginalisation s’étend à tous les aspects de la vie, y compris le manque de transport accessible et presque aucun espace public qui reconnaisse la diversité. D’une manière générale, l’approche de l’État libanais est basée sur la pitié plutôt que sur les droits.

Du point de vue d’un médecin, quelle est, selon vous, l’action la plus urgente que MSF devrait entreprendre pour garantir un meilleur accès à l’assistance médicale pour les patients en situation de handicap ?
Comme je l’ai mentionné plus tôt, MSF doit adopter des politiques d’intégration. Par conséquent, MSF devrait établir des centres de santé et des cliniques équiper pour s’adapter à la diversité, et adopter des normes de diversité dans ses communications. Tout cela doit être conforme aux lois et réglementations internationales. Ces questions sont interconnectées, et très urgentes. 

Recevez-vous des personnes en situation de handicap dans votre clinique ? Quelles conditions aux conséquences potentiellement invalidantes sont les plus courantes chez vos patients ?
Notre clinique à Majdal Anjar se trouve au deuxième étage. Il est très difficile pour les personnes avec un handicap physique d’accéder aux services de manière indépendante. La question demeure : respectons-nous le principe d’égalité, si nous dédions une clinique au rez-de-chaussée aux personnes en situation de handicap ? C’est ce que nous faisons en ce moment, en raison d’impératifs liés à la construction. Dans ces circonstances, notre clinique accueille des personnes en situation de handicap et leur fournit les mêmes services médicaux qu’aux autres patients.

Lorsque nous parlons de personnes en situation de handicap, nous pensons des personnes qui ne sont pas en mesure, en raison des circonstances qui les entourent, d’effectuer différentes activités. Ainsi, le problème n’est pas dans la personne mais plutôt dans son environnement. L’équation du handicap est la suivante : D = C × EA, où D signifie le handicap, C la capacité d’un point de vue purement physiologique, et EA l’accessibilité de l’environnement. Si l’environnement est assez accessible pour accueillir et intégrer la diversité, alors l’EA égale zéro, et le handicap n’est pas là, quelle que soit la capacité de la personne. Ainsi, une personne en situation de handicap est empêchée par l’environnement de mener des activités normales en raison d’un trouble fonctionnel. Une personne âgée peut avoir un handicap, tout comme un enfant ou une femme, voire un marathonien après un accident. La plupart des cas de handicap que nous recevons dans notre clinique sont les résultats d’accidents, de blessures de guerre et de maladies chroniques.  

Pourriez-vous nous raconter une histoire de patient dont la situation de handicap ou le parcours vers le rétablissement vous a particulièrement touché sur le plan personnel ou professionnel lors de votre travail pour MSF ?
Le premier patient d’une froide semaine d’hiver est arrivé avec un visage sombre, distrait, les mains tremblantes. Il n’a pas dit grand-chose et n’a répondu à mes questions que par quelques mots sans signification. Il avait une prothèse de pied suite à une amputation liée au diabète. Il s’appuyait  sur sa femme pour monter les escaliers. Avant l’amputation, il était un marchand ambulant travaillant qui se déplaçaient en moto. Le peu d’argent qu’il gagnait servait à soutenir les sept membres de sa famille  et sa mère âgée. Il n’a pas pu cacher ses larmes quand il m’a dit qu’il était maintenant incapable de travailler et qu’il dépendait du soutien d’organisations caritatives et de l’aide de la communauté. Pour répondre à ses besoins, toute l’équipe médicale, composée de médecins, d’infirmières, de travailleurs sociaux et d’un psychologue, a travaillé avec lui et nous avons pu l’aider à reprendre le travail, qu’il fait à l'aide d’un tricycle motorisé. Oui ! De petits détails comme ceux-ci peuvent faire une si grande différence. Voir un sourire éclairer ce visage sinistre est ce qui me motive à travailler pour le changement. 

Avez-vous un message pour les personnes en situation de handicap qui aspirent à une carrière dans le domaine humanitaire ou souhaitent contribuer à leurs communautés ?
En tant que personnes en situation de handicap, nous faisons partie intégrante de la communauté, qui ne peut pas bien fonctionner tant qu’elle contient des groupes marginalisés. Nos devoirs envers nos communautés nous obligent à parler et à revendiquer les droits qui garantissent notre humanité et notre participation. Avec volonté et détermination, rien n’est impossible. L’espoir est notre arme. Chaque petit effort fait une différence, et la puissance de la volonté provoque le changement. 

« Il ne s'agit pas
de ce que vous avez perdu »

Interview avec Louise Limela, chargée de coordination et d’animation du réseau associative MSF OCB en RD Congo.      

Entretien par Tamara Saeb, Responsable Communications, MSF UAE. Réalisé en février 2019 pour la célébration de la Journée internationale de la femme.


Dites-nous comment vous avez commencé à travailler avec MSF. 
MSF avait un projet de soigner des blessés de guerre dans la ville de Kisangani en République démocratique du Congo (RDC) pendant le conflit de 2000. Je venais de terminer mes études et je prenais soin de mon grand-père. C'est alors que j'ai commencé à vouloir aider les autres également. MSF m'a approché et m'a demandé si je voulais travailler avec eux et j'ai accepté.

Puis, en 2008, j'ai postulé pour un poste de magasinière à Lubutu, où je suis restée jusqu'en 2012. De 2012 à 2018, j'ai travaillé à Masisi, d'abord en tant que gérant de magasin, puis en tant qu'agent d'approvisionnement. Enfin, depuis 2018, je suis responsable de la coordination et de l’organisation de la vie associative du personnel de MSF ici à Masisi, un poste récemment créé à cette époque.

Quels sont certains des défis auxquels vous avez été confrontée dans votre carrière au sein de MSF et comment les avez-vous abordés?
Pour certains postes tels que la gestion des stocks, je devais monter et descendre sur les échelles pour sortir des articles des étagères, porter parfois des objets lourds, et ce n’était pas toujours facile. De même, lorsque j'étais infirmière dans une intervention d’urgence de MSF, de soutien aux blessés de guerre, j'ai dû rester debout pendant de nombreuses heures, ce qui était également difficile compte tenu de ma condition physique, mais j'ai fait de mon mieux pour faire mon travail. Il y a des zones montagneuses à Masisi et j'ai dû monter et descendre plusieurs fois sur ces sentiers difficile et glissant et parfois je tombais et cela m’a pas empêché de faire mon travail et atteindre mes objectifs.

MSF a-t-il pris en compte votre condition physique dès le début? Avez-vous géré cela vous-même ou avez-vous eu de l'aide?
Il n'y avait aucune référence faite à ma condition. J'ai été informée de ce que mon travail impliquerait et ensuite je me suis lancée. Mes collègues m'ont soutenue, mais je ne voulais pas non plus toujours être assistée. Parfois, je suis un peu têtue; Je me sentirais trop vulnérable si les gens m'aidaient toujours et cela me mettrait mal à l'aise. C'est pourquoi je mettrais plutôt plus d'effort. J'appréciais que mes collègues me soutiennent et veuillent faire des choses pour moi, mais je ne résisterais pas à les laisser, car je voulais m'assurer que je ferais aussi ma part.

MSF travaille souvent dans des conditions très difficiles. Dans quelle mesure MSF est-il équipé aujourd'hui pour inclure les personnes ayant des besoins spéciaux du point de vue du recrutement du personnel?
Premièrement, je n’ai pas remarqué que des considérations spéciales étaient prises si une personne ayant des problèmes de mobilité posait sa candidature à un poste. Personnellement, j’ai toujours postulé à des postes et j’ai dû passer des tests. J’ai échoué à certains d’entre eux mais pas à d’autres; il n’y a donc pas de «faveurs spéciales». 

Selon vous, qu'est-ce qui devrait être amélioré pour inclure les employés ayant des besoins spéciaux, notamment en les encourageant à postuler à des postes qui, à leur avis, ne leur sont pas accessibles?
Il est vrai que, lors de ma candidature, j'avais peur d'aller à l'entrevue, qu’ils voient ma condition et ne m’acceptent pas pour cette raison. Mais j'ai rassemblé mon courage et j'ai été sélectionné. MSF pourrait notamment encourager les personnes ayant des besoins spéciaux à postuler lorsque nous publions des offres d'emploi. Elles peuvent être limitées dans un domaine, mais avoir de l'expérience dans un autre. Si cela est clarifié, comme pour moi, dès le début, cela va parler à celles qui peuvent penser que certaines conditions les empêcheraient de faire ce travail. Ainsi MSF éviterait de perdre leurs autres compétences, car elles ont peur de postuler.

Dans votre rôle actuel et en particulier dans la vie associative, quel est le niveau actuel de sensibilisation à la question de l'inclusion? Est-ce quelque chose qui est abordé ?
Pour le moment en RDC, ce n'est pas encore une question à l'ordre du jour. Cependant, de mon côté en tant que coordinateur de notre vie associative, nous l’avons déjà inscrit dans nos objectifs pour cette année. L'idée sera de commencer à partager et à diffuser des informations dans chaque projet, ainsi qu'avant et pendant les FADs, afin de sensibiliser les gens et de leur donner des conseils pratiques sur la manière de rendre leur travail plus inclusif. Cela ne devrait pas se limiter au recrutement; cela concerne, par exemple, la manière dont nos installations sont construites. Il n'y a actuellement aucune prise en compte à cet égard. De temps en temps, je dois demander à quelqu'un de m'aider à monter les escaliers ou à utiliser mes béquilles. Il est possible de faire de petites choses pour rendre nos locaux plus accessibles aux personnes, par exemple dans nos salles de bains et nos salles de réunion. Même s'ils sont minoritaires, nous devrions permettre l'intégration de ceux qui ont des besoins particuliers dans MSF.

Et qu'en est-il de nos patients ?
Laissez-moi vous donner un exemple. Dans nos activités de campagne de sensibilisation, nous nous adressons aux communautés et nous ne savons pas si les personnes qui ont besoin de nos informations peuvent nous entendre et s’il est facile pour elles d’accéder aux informations que nous leur fournissons. Bien que cela puisse être une information importante pour eux, les membres de l'auditoire qui sont sourds n'entendront pas nos messages et les personnes aveugles ne verront pas les éléments visuels que nous utilisons. De même, les personnes à mobilité réduite risquent de ne pas être en mesure de se rendre à nos séances d’information et de sensibilisation. Et c’est là que nous devons nous demander, ainsi qu’à nos collègues de la communication, du médical et de la logistique, quelle stratégie adopter pour que nos messages parviennent à ces différents publics. Par exemple, si MSF ne parle que du VIH à la radio, les informations ne parviendront pas aux personnes sourdes et, par défaut, nous les exclurons au lieu de les inclure.

Pouvez-vous nous raconter une histoire de patient ou une situation à laquelle vous avez été confronté et qui vous a inspiré ou touché personnellement ou professionnel lorsque vous travaillez avec MSF ?
Lorsque j’ai commencé à travailler avec MSF pendant la guerre, je prenais soin de mon grand-père dans une clinique de santé universitaire. MSF traitait des blessés de guerre; certaines mouraient et il n'y avait pas d'infirmières car la majorité d'entre elles étaient parties pour être avec leurs familles. Tout le monde était parti et il n'y avait que deux médecins et deux autres membres du personnel. Quand j'ai commencé à travailler pour MSF, en voyant tous ces patients qui avaient besoin d'aide, cela signifiait beaucoup pour moi d'être en mesure de contribuer et de fournir un soutien. À l'époque, nous avions une salle réservée aux patients décédés. Un jour, alors que je surveillais les patients lors de mes visites dans ma chambre, j'ai remarqué un mouvement dans la pièce et j'ai immédiatement averti les médecins qu'il pouvait y avoir un survivant qui aurait pu être égaré. Et aujourd'hui, cette personne est devenue membre du personnel de MSF. Même s’il a perdu un membre, il travaille comme logisticien dans l’un de nos projets VIH. Nous nous sommes revus quand je travaillais à Lubutu et il s'est souvenu de ce jour. Je n'avais pas réalisé qu'il était la même personne que j’avais désignée aux médecins. Cela m'a beaucoup marqué. Je me suis dite que j'avais au moins contribué à sauver une vie. J'ai beaucoup de passion pour ce que je fais et j'aime être au service des autres.

Dans le contexte de la Journée internationale de la femme, quel message voudriez-vous adresser aux femmes ayant des besoins spéciaux qui aspirent à travailler dans le domaine humanitaire ou souhaitent simplement contribuer à leurs communautés comme vous ?
Je leur dirais de prendre leur destin en main. Ne pas avoir peur, faire face à la réalité telle qu'elle est parce que ce qui nous retient, c'est la peur, de se remettre en question. Est-ce que je vais réussir? Vont-ils m'accepter? Tout d’abord, vous commencez par vous accepter vous-même afin que votre entourage le fasse aussi. Deuxièmement, motivez vous et considérez vous au-delà de votre condition. Si vous vous concentrez sur vos lacunes et croyez que vous ne pouvez pas évoluer, vous finirez par faire exactement cela. Vous devez regarder au-delà et aller de l’avant, en vous disant: «Je vais soutenir les autres et je vais y arriver». C'est une décision consciente que vous devez prendre. Vous devriez commencer par vous-même, si vous ne vous aidez pas, les autres ne le feront pas en votre nom. Et il y a toujours de bonnes personnes prêtes à vous soutenir.

Vous devez vous libérer. Le problème de la mobilité et d'autres handicaps est parfois le complexe psychologique résultant dont souffrent les personnes. J'étais comme ça au début. Vous sentez que tout le monde est meilleur que vous et que vous ne pourrez pas le faire. Cela bloque donc la vie d'une personne ayant des besoins spéciaux. Je demande à toutes ces femmes de faire face à la réalité, de commencer par s’accepter elles-mêmes et de donner le meilleur de ce qu’elles ont à offrir. Lorsque vous perdez un membre, vous pouvez en développer et en utiliser d’autres. Il ne s'agit pas de ce que vous avez perdu. Et je suis une preuve vivante de cela.

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